"Tout ce que je peux faire, c'est me taire pour laisser son silence
exprimer sa souffrance."
7H55- JEUDI
Centre de santé Kongoussi
Des patientes sont arrivées Le centre est déjà débordé. Cela fait deux ans que je suis sur cette mission
Car depuis tout petit, j'ai une vocation C’est celle d’aider. Naître au Burkina, c'est compliqué Alors quand j’ai vu ma soeur Afia Être sauvée de la malaria J'y ai vu l'espoir Et je continue de croire À une meilleure vie Pour notre pays.
J’ai suivi une formation Sur la contraception C’est difficile pour moi De considérer cela comme un choix. Car, voyez-vous, je suis croyant. Est-ce que ça fait de moi un mauvais soignant ?
Chaque jour, je me bats avec mes idées En mettant de côté Ce que ma culture m'a inculquée.
On nous apprend à ne pas juger
Mais comment puis-je faire Pour être en paix dans la prière ?
8 h 00. J'ouvre les portes du centre
Et accueille la première patiente
Alima, 14 ans S'assoit tout doucement Comme si un geste de trop
Pouvait la briser en morceaux.
Pas la peine de lui demander Ce qui lui est arrivé Les Hanis sont passés par là. Des filles comme Alima J'en vois chaque semaine Je peux suivre le trajet de la haine
À travers le corps des femmes
Itinéraire d'un drame.
Ne jugez pas hâtivement Mon apparent détachement
Chaque consultation Est un défi pour mes émotions
Toutes ces histoires Me hantent le soir. Il m’arrive d’autoriser Quelques larmes à couler. Bien souvent, j’ai envie d’hurler
Et de tout arrêter. Mais j’y retourne chaque jour
Car elles attendent leur tour.
8 h 05 Alima éclate en sanglots Refusant de dire un mot Je sais que sa vie s'est brisée À la minute où ils l'ont violée.
J’aimerais lui promettre que le temps
Effacera son tourment Mais je ne suis pas un magicien
Et lui mentir, ne sert à rien.
Tout ce que je peux faire C'est me taire. Pour laisser son silence
Exprimer sa souffrance
Je lui parle de la pilule du lendemain
En des termes plus communs C'est toujours tabou Par chez nous. Vous savez, cette guerre est terrible,
Et il m’est impossible D’empêcher ses ravages Alors j'en limite les dommages.
Ces hommes ne devraient pas avoir
En plus le pouvoir De lui imposer une vie
Qu'elle n'aurait pas choisie.
8H10 Elle prend le comprimé Sans me regarder Je lui propose de se reposer ici Pour quelques secondes de répit
Mais elle s'est déjà levée. Les yeux encore mouillés. Elle porte sur le visage Un masque sans âge Comme lorsque l'on doit vieillir
Sans avoir eu le temps de grandir. À peine arrivée, elle était déjà partie.
Est-elle seulement venue ici ?
FIN