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ROGER - 25 mai 2022

"Tout ce que je peux faire, c'est me taire pour laisser son silence

exprimer sa souffrance."


 

7H55- JEUDI

Centre de santé Kongoussi


Des patientes sont arrivées Le centre est déjà débordé. Cela fait deux ans que je suis sur cette mission

Car depuis tout petit, j'ai une vocation C’est celle d’aider. Naître au Burkina, c'est compliqué Alors quand j’ai vu ma soeur Afia Être sauvée de la malaria J'y ai vu l'espoir Et je continue de croire À une meilleure vie Pour notre pays.


J’ai suivi une formation Sur la contraception C’est difficile pour moi De considérer cela comme un choix. Car, voyez-vous, je suis croyant. Est-ce que ça fait de moi un mauvais soignant ?

Chaque jour, je me bats avec mes idées En mettant de côté Ce que ma culture m'a inculquée.

On nous apprend à ne pas juger

Mais comment puis-je faire Pour être en paix dans la prière ?


8 h 00. J'ouvre les portes du centre

Et accueille la première patiente


Alima, 14 ans S'assoit tout doucement Comme si un geste de trop

Pouvait la briser en morceaux.

Pas la peine de lui demander Ce qui lui est arrivé Les Hanis sont passés par là. Des filles comme Alima J'en vois chaque semaine Je peux suivre le trajet de la haine

À travers le corps des femmes

Itinéraire d'un drame.


Ne jugez pas hâtivement Mon apparent détachement

Chaque consultation Est un défi pour mes émotions

Toutes ces histoires Me hantent le soir. Il m’arrive d’autoriser Quelques larmes à couler. Bien souvent, j’ai envie d’hurler

Et de tout arrêter. Mais j’y retourne chaque jour

Car elles attendent leur tour.


8 h 05 Alima éclate en sanglots Refusant de dire un mot Je sais que sa vie s'est brisée À la minute où ils l'ont violée.

J’aimerais lui promettre que le temps

Effacera son tourment Mais je ne suis pas un magicien

Et lui mentir, ne sert à rien.

Tout ce que je peux faire C'est me taire. Pour laisser son silence

Exprimer sa souffrance


Je lui parle de la pilule du lendemain

En des termes plus communs C'est toujours tabou Par chez nous. Vous savez, cette guerre est terrible,

Et il m’est impossible D’empêcher ses ravages Alors j'en limite les dommages.

Ces hommes ne devraient pas avoir

En plus le pouvoir De lui imposer une vie

Qu'elle n'aurait pas choisie.


8H10 Elle prend le comprimé Sans me regarder Je lui propose de se reposer ici Pour quelques secondes de répit

Mais elle s'est déjà levée. Les yeux encore mouillés. Elle porte sur le visage Un masque sans âge Comme lorsque l'on doit vieillir

Sans avoir eu le temps de grandir. À peine arrivée, elle était déjà partie.

Est-elle seulement venue ici ?



FIN



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